La molokheya de Liliane

Connaissez-vous la molokheya ? Selon Liliane "Ça ressemble à de la bouse de vache, mais c'est délicieux". Pour elle qui a grandit en Tunisie, ce plat lui rappelle "l'odeur de son pays" et elle nous y transporte.

— Réalisation : Adèle Cailleteau, Richard Adle | Montage : Richard Adle

Publié le :
26/5/2022

Jour de tournage, Rick et moi arrivons à 9 heures tapantes. Liliane nous attend, son tablier sur le dos et la cocotte déjà prête à chauffer. Je fais les présentations : Rick est en charge de la caméra principale, je m’occupe du son et des gros plans. Elle nous accueille dans son salon bien rangé au papier peint pastel - comme celui de ma grand-mère -, pour que nous puissions y déballer toutes nos affaires. On sent Liliane un peu inquiète, parce que la molokheya du jour doit être une réussite, mais elle semble aussi ravie de nous montrer sa recette et d’être filmée.


Elle sait comment ça marche, il y a quelques années des caméras de France 3 sont déjà venues chez elle pour un film documentaire sur sa chorale. Retrouver ses copines et chanter lui manque. Faire du yoga aussi. En dehors de cuisiner pour sa famille, la plupart de ses activités sont en suspens depuis le début de la pandémie.

Un mijotage minutieux


C’est une amie de longue date qui m’a parlé de ce plat en sauce concocté par sa grand-mère née en Tunisie. Je n’avais jamais entendu parler de cette "molokheya". "Ça ressemble à de la bouse de vache", me dit Liliane au téléphone quand je lui parle pour la première fois, "mais c’est délicieux". Les oignons sont déjà découpés quand nous arrivons, Liliane est pressée : le plat doit mijoter longtemps pour être prêt pour le midi. J’essaie de la ralentir mais elle est du genre têtu.


Le secret de la molokheya réside dans une poudre verte du même nom et qui rappelle à Liliane la Tunisie où elle est née, en 1941. "C’est l’odeur de mon pays ça", dit-elle en remuant dans la cocotte. La Tunisie, elle l’a quittée peu avant les "événements", comme elle les appelle, c’est-à-dire peu avant la constitution d’une République dans cet ancien protectorat français en 1956. Elle est restée quelques années dans le sud de la France, où elle a rencontré son mari, puis a rejoint la région parisienne. Elle a toujours travaillé. C'était une ouvrière, elle le revendique. Elle a aussi gardé des enfants quand les siens étaient petits.

Moments de partage


A 11h30, la molokheya frémit sur le feu et c’est l’heure de l’apéritif. Liliane sort l’anisette, la madeleine de Proust des Pieds-Noirs. On le sert accompagné d’une kémia : un assortiment de salades que Liliane a préparé la veille - pommes-de-terre, poivrons grillés et olives. Pour que sa cuisine soit propre le jour du tournage, elle a même reporté la préparation de la tartiflette attendue par son petit-fils, "son petit Prince". La cuisine et la famille, ses deux passions. 

Rick vient de poser la caméra pour trinquer et André, le mari de Liliane, nous rejoint. ll est originaire de Normandie et se remémore sa première rencontre avec des Américains - Rick vient des Etats-Unis. C’était en juin 1944, lors du débarquement des Alliés en Normandie. Il n’avait que 4 ans mais il s’en souvient bien. Rick doit partir avant que nous ne passions à table, Liliane est déçue. Pour qu’il puisse goûter, elle emballe pour lui un pot de confiture rempli de molokheya, un bout de pain et une petite cuillère. Elle veut qu’il se filme au moment où il goûtera son plat et demande à André de le raccompagner en voiture jusqu’au métro. 


Nous nous mettons à table tous les trois, tout naturellement. Liliane est contente, c’est réussi. Comme je suis végétarienne, elle m’a préparé une assiette de kémia en plus et me sert seulement la sauce de la molokheya, sans viande. Comme promis, l’aspect du plat fait penser à de la bouse de vache. Je trempe mes morceaux de pain dedans, c’est bon et légèrement relevé.

Liliane raconte la première fois qu’elle en a cuisiné à son mari, il y a pas loin de 60 ans. Habitué à la douceur de la crème et du beurre normand, il est devenu rouge comme une tomate. Il s’est depuis habitué à la cuisine tunisienne préparée par Liliane. Le repas terminé, je comprends d’un geste que les rôles s’inversent : André passe en cuisine pour faire la vaisselle et tout nettoyer, tandis que Liliane s’installe dans le salon. Je discute avec elle en rassemblant toutes nos affaires éparpillées, elle me raccompagne jusqu’au portail et remplit mon sac de laurier, romarin et origan pour mes sauces tomate à venir.

Texte : Adèle Cailleteau, Photos : Adèle Cailleteau, Richard Adle

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