Inde

John - Vieillir au Kerala

John dédie sa retraite à retaper un bout de terrain au bord des backwaters de Cochin, dans le Kérala, et en fait profiter ses proches et voisins pour toutes sortes de cérémonies. Il nous a invités aux fiançailles de sa nièce. On a pu aborder avec lui les coutumes indiennes, le système des castes, le mariage.

Réalisation et montage : Clément Boxebeld et Julia Mourri

Publié le :
1/3/2018

Les vieux Indiens et la débrouille


En Inde, 90% des travailleurs font partie de l’économie informelle. Sur les 110 millions de personnes de plus de 60 ans dans le pays — qui compte 1,3 milliards d’habitants — seulement près de 20 millions de personnes âgées sont donc amenées à toucher une vraie retraite relative à leur ancienne profession dite "officielle".

Des habitants de Cuddalore (Tamil Nadu, Inde)


En 1995, le gouvernement indien a mis en place une assurance pour permettre à ces anciens travailleurs des secteurs informels — des mines, de la marine, de l’agriculture… — de toucher un minimum de 1000 roupies par mois… C’est à dire 13 euros, environ.

Une retraite encore insuffisante


"Ce minimum retraite est évidemment insuffisant. Celui-ci devrait s’élever au moins à 3000 roupies [37 euros] pour leur permettre de vivre de façon décente", nous explique Irudaya Rajan, professeur au Centre d’Études du développement de Trivandrum (Kérala, sud de l’Inde) et co-auteur, entre autres, de l’ouvrage Les personnes âgées en Inde : besoins et vulnérabilités. "Ces personnes deviennent pauvres à partir de 65 ans. Et sans politique de réemploi, elles peuvent tout simplement mourir de faim si elles ne continuent pas à travailler", nous explique Irudaya Ranjan.

"Seuls ceux qui ont travaillé en tant que fonctionnaires ou dans le secteur privé bénéficient d’une assurance par de la part de leur employeur. Mais il n’y a pas de système de sécurité sociale à grande échelle pour les personnes âgées."

Dans le sud de l’Inde, des initiatives comme l’Institut de médecine palliative ou l’ONG de défense des personnes âgées HelpAge India forment les communautés et volontaires à l’administration des soins pour les personnes âgées. "Comment les vieux pourraient-ils aller à l’hôpital ou consulter un médecin ? Ils n’ont même pas assez d’argent pour prendre un taxi", nous dit Sathiya Babu, en charge du programme des soins palliatifs au Tamaraikulam Elders Village, un village pour personnes âgées créé par HelpAge à côté de Cuddalore, dans le sud-est du pays, où les résidents sont formés à prendre soin les uns des autres.

Le départ des enfants


99% des personnes âgées continuent donc d’habiter chez elles… Mais souvent loin de leur famille. Un autre phénomène pointé par Irudaya Rajan pour expliquer la situation de désœuvrement à laquelle font face des millions de vieux Indiens est l’exode récente des enfants partis à la recherche d’opportunités économiques. "2,4 millions de travailleurs quittent le seul État du Kerala pour travailler, et 15 millions d’Indien quittent le pays pour trouver un travail à l’étranger : dans les pays du Golfe, au Canada, aux États-Unis", explique Irudaya Rajan.

S’il préconise la mise en place d’une politique du "bien vieillir" à l’échelle nationale, mêlant accès aux soins, retraite, activités physiques et possibilité de travailler plus longtemps pour les vieux qui le souhaitent, l’urgence, selon lui, est sur ce dernier point : "Sur 110 millions de personnes âgées de 60 ans et plus en Inde, au moins 50 millions sont en bonne santé et peuvent contribuer à la société. Il faut voir ces vieux comme une force, capable de gagner un revenu pour eux-mêmes et pour leur famille."

Les vieux montent leur business


Cela explique sans doute le succès des groupes d’entraides entre les séniors en bonne santé dans les États du Tamil Nadu et du Kerala, mis en place par HelpAge India. "Les groupes d’entraide de personnes âgées réunissent 12 à 20 personnes. Ils se rassemblent pour créer une activité économique", nous raconte Elango Rajarathinam, en charge de ce projet chez HelpAge India.

"Chaque membre donne au groupe un petit montant de 50 à 800 roupies [65 centimes d’euro à 10 euros]. Cela leur permet d’emprunter au groupe pour lancer leur business, ou d’emprunter aux banques par l’intermédiaire de ces groupes, qui ont des provisions et en qui les banques ont confiance puisque ces groupes ont plus de dix ans d’existence."

Cette initiative lancée en 2005 par HelpAge India a pris une ampleur conséquente dans le sud du pays puisqu’on dénombrait en décembre 2017 près de 1 020 groupes d’entraide dans les États du Tamil Nadu et du Kerala. Cela représente environ 15 000 personnes âgées.

Oldyssey a rencontré l’un de ces groupes d’entraide dans l’État du Tamil Nadu, ainsi qu’un village habité et auto géré par des personnes âgées. Des initiatives révélatrices de l’esprit de débrouille et d’entraide de ces vieux du sud de l’Inde.

— Texte et photos : Clément Boxebeld et Julia Mourri

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