Le Coiffeur

Frédéric a 83 ans, dont 63 de coiffure. Les murs de son salon sont recouverts de miroirs et de photos de celles et ceux qu'il a coiffés : Romy Schneider, Juliette Gréco, Jean Cocteau, Dalida, Joséphine Baker, Grace Kelly… Il y accueille tous les jours ses clientes. Et ne compte pas s'arrêter.

— Réalisation : Clément Boxebeld, Adèle Cailleteau, Julia Mourri | Montage : Adèle Cailleteau

Publié le :
20/1/2022

Frédéric ne voulait pas d'un salon de coiffure "laboratoire" aux murs d’un blanc aseptisé. Le sien est floral, d’un jaune chaleureux, avec une quinzaine de miroirs aux bordures dorées et une devanture ornée de photos de célébrités. Ce salon de l’avenue Marceau à Paris n’est pas tenu par n’importe qui : notre coiffeur chouchoutait les stars. Sur les murs et dans ses archives, Frédéric a d'innombrables photos de celles et ceux qu'il a coiffés : Romy Schneider, Maria Callas, Arletty, Juliette Gréco, Jean Cocteau, Dalida, Joséphine Baker, Grace Kelly, etc.


La coiffure de stars est un monde dans lequel il est entré un peu par hasard. Il quitte son village natal de Saint-Tropez à 17 ans, rejeté par sa mère parce qu'homosexuel. Une fois arrivé à Paris, il lui faut trouver un travail : ce sera la coiffure. Frédéric entre à l'école de L’Oréal puis chez Alexandre, le grand maître coiffeur français, en 1960. Alexandre de Paris est connu pour avoir donné à la "haute coiffure" ses lettres de noblesse. Sa maison coiffait les mannequins des grands couturiers (de Chanel ou Balenciaga). Pas moins de 400 clientes passaient chaque jour par son salon, parmi lesquelles bon nombre de célébrités.

Avec certaines d'entre elles, Frédéric noue une vraie relation. Il y a "Romy" (Schneider), née la même année que lui en 1938. "C’était une très petite fille", nous dit-il. Ou bien Juliette Gréco, qu'il allait coiffer chez elle rue de Verneuil toutes les semaines, "elle était nature, elle était formidable."

"La coiffure, le pilier de ma vie"


À 83 ans, Frédéric continue de travailler par passion et parce que "la retraite, c'est un leurre". Il le faut pour rester intégré à la société, même s’il n’a plus sa clientèle d’autrefois. À notre coiffeur d’invoquer son cardiologue, dont les patients meurent systématiquement dans les 12 ou 18 mois après leur départ à la retraite. Frédéric se compare à un arbre, qui donne des fruits, certes moins nombreux, mais toujours les mêmes fruits, jusqu'à sa mort. La coiffure, ça a été "le pilier" de Frédéric. "J'avais un métier, je pouvais me défendre. Ça a été ma vie."

En plus de 60 ans de coiffure, les temps ont changé. L'époque faste de la haute coiffure et du chignon artistique est révolue. Le temps des grandes soirées mondaines auxquelles il ne fallait pas porter deux fois le même, ni celui de sa voisine, n'est plus. Frédéric le regrette, mais vit résolument avec son temps. Le convaincre de nous montrer comment il structure un chignon de soirée n'a pas été évident : "À quoi bon montrer ces gestes qui n'intéressent plus personne ?"

Je viens le voir à deux reprises dans son salon pour en discuter avec lui. Fidèle à la réputation de sa corporation, Frédéric est un grand bavard aux mille anecdotes. Il évoque le monde de paillettes qu’il a fréquenté et rit joyeusement. Il finit par accepter de participer mais ne veut surtout pas donner l’image d’un vieux qui ressasse le passé, par exemple quand il fait le constat que l’élégance n’est plus et que la mode d’aujourd’hui est au négligé, au m’as-tu vu.


Il finit quand même par accepter et me fait un chignon romantique, "pour adoucir [mon visage]". "La base c'est le triangle. J'ai une architecture qui doit venir compenser ce qui manque", explique-t-il avec une pointe d’accent tropézien. "La cliente vient avec sa personnalité, il faut faire avec et se battre pour la rendre belle." Affairé à me coiffer, Frédéric sourit, concentré. Il dépose dans mes cheveux épingles après épingles. Au bout d'une cinquantaine d’attaches métalliques fixées sur ma tête et moins de vingt minutes de travail, me voilà coiffée pour presque une semaine. "Vous pouvez aller au bal maintenant, Mademoiselle", termine-t-il en souriant.


— Texte : Adèle Cailleteau, Photos : Clément Boxebeld, Julia Mourri

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