Le facteur de clavecin

991 clavecins sont sortis de son atelier. À 85 ans, Reinhard von Nagel a consacré sa vie à la renaissance de cet instrument longtemps oublié.

Réalisation : Clément Boxebeld, Adèle Cailleteau | Montage : Christophe Bleuse

Publié le :
13/9/2022

Vous entendez, j’ai engagé un orchestre pour votre venue”, s’amuse Reinhard von Nagel en m’accueillant. Un ensemble de musique ancienne est en train de répéter dans son atelier du faubourg Saint-Antoine quand j’y entre pour la première fois. “Tous les grands noms de la musique ancienne ont joué ici”, ajoute-t-il, lors des “petits concerts dans les copeaux” qu’il organise régulièrement.


À sa manière, Reinhard von Nagel est aussi l’un de ces grands noms : il est l’un de ceux qui ont fait renaître le clavecin. Son atelier, en plus d’être un lieu de fabrication de clavecins, a été un “laboratoire de recherches”. Pour établir des plans de constructions de clavecins, il a fallu mener un travail d’enquête. Et pour cause, l’instrument avait complètement disparu au moment de la Révolution française. L’Histoire a retenu que les Révolutionnaires, parce qu’ils associaient l’instrument à l’Ancien régime, les avaient brûlés en place publique comme ils y ont coupé des têtes. C’est surtout la concurrence du piano forte, instrument à cordes frappées et non pincées, qui a précipité le clavecin dans l’oubli.

Les rencontres qui ont changé sa vie


Reinhard von Nagel n’en joue pas mais le clavecin a changé sa vie. Né en 1937 en Allemagne, il voyage puis s’installe en France dans les années 1950. C’est à Paris qu’il rencontre William Dowd, un facteur de clavecins originaire des Etats-Unis. Ce dernier lui propose de travailler ensemble : “Moi, qui ai grandi dans un village du Palatinat, pieds nus dans la bouse de vache, j’ai eu le bonheur de rencontrer le très célèbre facteur de clavecin William Dowd.” A ce moment-là, tout ce qu’avait entrepris et appris Reinhard von Nagel prend un sens : avoir étudié le latin et le grec, s’être initié au violon, fait un peu de danse classique et de la menuiserie. “Je me demande si je suis tombé dans le clavecin ou si c’est le clavecin qui m’est tombé dessus”, résume-t-il.

Dans son bureau, des étagères sont remplies de classeurs numérotés. A l’intérieur, des dossiers bien rangés référencent chacun des 991 clavecins sortis de l’atelier, d’abord appelé William Dowd - Paris, puis Atelier von Nagel. Autant de “pierres tombales présentes sur tous les continents. Sauf l’Antarctique, précise-t-il, simplement parce que les pingouins ne jouent pas de clavecin.

De nouvelles fonctions


Au départ, les instruments fabriqués étaient des copies de ceux fabriqués par “les anciens”. “Puis je me suis dit : ‘Mon petit Reinhard, tu as peut-être intérêt à t’intéresser aux peintres de ton temps...’” C’est comme cela qu’“un Debré” a pu se retrouver à l’entrée de l’atelier von Nagel : c’est Olivier Debré qui a décoré le couvercle, avec du rouge sur le dessus et des couleurs éclatantes à l’intérieur, en tâches de peinture. Il y a aussi “un Chagall”, qui se trouve au musée Marc-Chagall à Nice. Plus loin dans l’atelier, un somptueux clavecin noir et doré. En s’approchant des instruments, je m’étonne de la confiance avec laquelle Reinhard von Nagel nous accueille, tant ces objets sont précieux - et parfois fragiles, comme cette table du XVIIIème qui chancelle dès qu’on s’en approche de trop près.

Aujourd’hui, l’époque où Reinhard von Nagel avait 29 employés remonte à loin. Il ne fabrique plus de nouveaux instruments et travaille seul dans son atelier. Il répare et entretient. Le jour du tournage, c’est au tour d’un clavecin à un seul clavier, sans grande fioriture, fabriqué en 1998 et qui appartient au conservatoire de Créteil. “C’est un instrument qui a été maltraité.” Sur celui-ci, Reinhard von Nagel a investi 1 600 euros - que le conservatoire ne veut pas payer - pour le recordage de l’instrument. Un investissement “pour [sa] réputation”. “Les propriétaires vont s’en soucier comme d’une guigne, mais c’est comme ça.” Si Reinhard von Nagel continue de travailler aujourd’hui, c’est à la fois par passion et pour rester en vie, mais aussi parce qu’investir dans sa réputation cause parfois quelques difficultés financières…

Texte : Adèle Cailleteau, Photos : Clément Boxebeld, Adèle Cailleteau et Christophe Bleuse

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