#3 Dominique, vieillir entre femmes

Dominique s'est mariée et a eu deux enfants. À 50 ans, lorsque arrive la ménopause, elle décide que les hommes, c'est terminé. Elle a 68 ans aujourd'hui, vit avec une femme et se dit lesbienne, par militantisme.

Un épisode réalisé par Adèle Cailleteau, produit par Oldyssey.
Musique : Lahar - Mosaïc ; Guazu - Guazu

Publié le :
27/7/2021

J’ai plusieurs fois entendu Virginie Despentes dire qu’elle était devenue lesbienne à 35 ans, ça m’a toujours intriguée. Est-ce qu’il y a un âge à partir duquel les femmes s’épanouiraient plus entre elles ? Comment est-ce qu’on passe d’une relation hétéro avec mari et enfants à une relation lesbienne assumée ? C’est avec ces questions-là en tête que je vais à la rencontre de Dominique au centre LGBT+ de Paris, rue Beaubourg. Elle y tient chaque semaine la permanence téléphonique de l’association Grey Pride pour la visibilisation des séniors LGBT et c’est par ce biais que je suis entrée en contact avec elle.

Dominique, arborant fièrement le drapeau arc-en-ciel


Je monte l’escalier arc-en-ciel et passe devant une coupelle pleine de préservatifs pour retrouver Dominique. On s’installe dans une pièce décorée sur le thème de la Grèce antique, ce qui n’est pas tellement à son goût. "Trop masculin." Elle farfouille dans les casiers de flyers à la recherche du prospectus Tomber la culotte pour la prévention sexuelle des femmes qui ont des rapports sexuels avec d’autres femmes. Elle ne le trouve pas, ça l’agace un peu. On commence l’interview, qu’elle a préparée : elle regarde ses notes sur son téléphone pour me répondre. Je ressens un peu de stress, qui se dissout petit à petit. Dominique est psy, elle est plutôt habituée à être du côté de la personne qui écoute, plutôt que de celle qui est enregistrée.

Lesbienne "par militantisme"


Elle me raconte son changement de vie au moment de la ménopause : à 50 ans, elle divorce, se fait retirer son stérilet et entame une période d’exploration sexuelle. Aujourd’hui, elle se définit comme lesbienne, "par militantisme". Elle me parle de ce que ça fait de vieillir avec une femme, de la ménopause de sa compagne qui a 50 ans, de son rapport aux hommes qui a changé et de son renoncement à être sexy en permanence. L’interview dure longtemps. La fatigue s’installe un peu quand on en arrive à parler de son travail de psy et de sexologue.

On fait une pause pour qu’elle aille voir ce qu’il en est du côté de la ligne écoute, prise en charge ce jour par un autre bénévole pour qu’on ne soit pas dérangées. Au bout de plus de deux heures, on a fini l’interview et elle me fait visiter la grande bibliothèque du centre. Nous sommes les dernières à partir, il est 18 heures passées. On marche ensemble jusqu’au RER, elle me montre le bar lesbien du coin, le Bar’Ouf, on discute d’elle et de moi. Elle me confie à ce moment-là les détails de ses explorations sexuelles. Impossible d’enregistrer ou de relater tout cela, parce que ce n’est plus à la journaliste qu’elle parle mais à la personne qui est un tout petit peu plus jeune que son fils.

— Adèle Cailleteau

Aller plus loin

Vieillir, aimer et rester visible,
interview du fondateur de Grey Pride


Francis Carrier est le fondateur de l’association Grey Pride, qui lutte contre l’isolement et l’invisibilisation des personnes âgées LGBT+, mais pas seulement. Interview.


Les personnes âgées sont invisibles dans la société, pourquoi pensez-vous que c'est encore plus le cas au sein de la communauté LGBT+ ?

Lorsqu’on vieillit, on est de plus en plus fragile et pour éviter d’être discriminé, on se rend invisible. Ça accentue d’autant plus l’isolement. C’est un mécanisme qui n’est pas forcément lié à une réalité, mais à un vécu. Pour ceux qui ont vécu des discriminations tout au long de leur vie, dans la loi, au travail, au sein de leur famille, l’orientation sexuelle devait faire partie de l’intimité. Il y avait très peu de personnes homosexuelles ou trans visibles et les seules qu’il y avait bénéficiaient d’une aura artistique. Si vous étiez agriculteur, ouvrier, employé, l’homosexualité se vivait dans le secret absolu.

Est-ce que vous en avez vous-même fait l’expérience ?

Non, je fais partie de la nouvelle génération, après mai 68, qui a connu la libération sexuelle et les droits des minorités. Celle qui réclame de se rendre visible, exige des droits et refuse l’obscurité. C’est inenvisageable pour moi d’imaginer que ma seule option soit de retourner dans le placard.

Face à ce constat, quelle solution voyez-vous pour les vieilles et les vieux LGBT+ ?

Il faut former toute la sphère gérontologique pour faire reconnaître qu’il y a la même diversité d’identités et de vécus chez les vieilles et les vieux qu’ailleurs dans la société. Les vieux ne forment pas une catégorie uniforme, asexuée et asexuelle. En vieillissant, nous ne devenons pas des objets de soins mais restons des personnes avec des histoires et des identités propres. Concrètement, le label Grey Pride Bienvenue va être lancé à la rentrée, d’abord avec deux Ehpad parisiens. Le but est d’inclure une culture de la diversité pour permettre l’acceptation de l’histoire des individus.

Le travail de Grey Pride est centré sur la vieillesse des personnes LGBT+, mais votre combat est en fait bien plus large ?

Je suis un ancien militant pour le respect des identités liées à l’orientation sexuelle, puis à Aides, aux Petits frères des pauvres. On catégorise les vieux comme un groupe uniforme et c’est là que j’ai compris qu’on pouvait utiliser le levier des minorités vieillissantes pour expliquer la façon dont on s’occupe des vieux de manière générale. Ils sont réduits à des objets qu’on nourrit, protège et auxquels on retire progressivement des droits. C’est une catégorie étrange à laquelle personne ne veut appartenir. Elle est par essence maltraitante, parce qu’elle vient nier l’identité et la diversité. Mon idée avec Grey Pride n’était pas de créer des îlots de bientraitance au milieu de cette maltraitance. La situation des minorités n’est que le révélateur de ce qu’il se passe pour les vieux en France.

— Texte, Réalisation : Adèle Cailleteau, Musique : Lahar - Mosaïc ; Guazu - Guazu

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